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Junk Garage
19 avril 2011

Nabari, ou les lamentations du ninja solitaire

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Il y a des jours où j'ai envie de regarder des trucs pas prise de tête et choisi un peu au hasard juste comme ça, pour le plaisir. Il y a quelques années mon regard s'est donc posé sur Nabari, manga au synopsis insipide à souhait mais dont le style graphique séduisait ma rétine. Bonne ou mauvaise pioche ?


D'entrée de jeu, on nous dit que les ninjas existent toujours, même au 21ème siècle, et qu'ils évoluent dans un monde de l'ombre baptisé "Nabari". La journée, ils travaillent ou vont à l'école comme vous et moi... Le reste du temps, assassinats, gardes rapprochées et espionnage sont leur lot quotidien.
Miharu est un collégien comme les autres, si ce n'est qu'il ne se souvient pas de son enfance et qu'il possède un pouvoir surpuissant, le Shinrabanshô, que les ninjas convoitent. Si le clan Banten souhaite détruire le Shinrabanshô et ainsi permettre à Miharu de vivre une vie normale, les Kairôshu, le clan adverse, veulent s'en servir pour changer le monde.
Miharu se retrouve donc embarqué par son prof d'Anglais et deux de ses camarades de classe -ninjas de chez Banten- dans une guerre qui le dépasse complètement. Une situation d'autant plus compliquée à gérer pour lui qu'il a passé sa vie à évoluer dans une bulle, ne laissant jamais transparaître ses sentiments à qui que ce soit.

A ce stade là, vous aurez certainement compris que je n'ai pas acheté Nabari pour son scénario, qui cumule tous les clichés les plus infâmes qu'on puisse trouver dans un manga.
En fait, j'aimais juste les dessins.
Fort heureusement, l'oeuvre prend un tournant intéressant nous faisant comprendre qu'elle n'est pas du genre à avoir des personnages au service d'une intrigue, mais bien le contraire.

C'est ainsi qu'après un début assez poussif et peu inspiré, le lecteur fait la connaissance de Yoite, ninja à tendance psychologiquement instable et utilisateur de la technique interdite du Kira. Pour la faire courte, il peut faire exploser les gens en les pointant du doigt, ce qui serait très pratique si en échange il n'était pas condamné à mourir à petit feu dans d'atroces souffrances. Bien qu'étant conscient du funeste destin qui l'attend, Yoite désire, avant de partir, qu'on accomplisse son souhait. Un souhait que seul Miharu, équivalent de Dieu, peut exaucer. Yoite va donc capturer Miharu et, sous la menace, le forcer à faire un pacte avec lui : tout en faisant mine de soutenir leur camp respectif, chacun de leur côté feront en sorte d'exploiter leurs petits camarades pour pouvoir apprendre à utiliser le Shinrabanshô par eux-même et ainsi exaucer le voeu de Yoite.

Et là, d'un coup, ça devient nettement plus intéressant.

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Rencontre


L'intrigue en elle-même ne volera jamais bien haut et restera pour le moins succincte, bien qu'étant parsemée de révélations et de retournements de situations en tous genres. L'auteur parvient tout de même à garder l'intérêt de son manga et même à rendre l'attente entre les tomes parfois douloureuse grâce à divers procédés.

L'histoire est centrée sur Miharu et la façon dont il va petit-à-petit s'ouvrir au monde et aux autres. Rien de bien nouveau sous le soleil, les héros blasés semblent être à la mode ces derniers temps... Yoite tient une place prépondérante dans son développement ce qui fait de lui un des piliers de l'histoire, mais tous les personnages y participent aussi plus ou moins activement.

D'abord tétanisé par la peur que suscite chez lui son maître-chanteur, Miharu va petit à petit apprendre à l'apprivoiser et chercher à le connaître. Le lien très ténu et fragile qu'ils vont nouer et la façon dont ils vont apprendre à se comprendre fait partie des grands intérêts du manga. Leur relation est bizarre, tendue et incroyablement mignonne à la fois, comme peuvent être deux gamins entre eux. Je ne me souviens pas avoir vu quelque chose de similaire dans une autre oeuvre de fiction, donc c'est assez rafraîchissant.
Mais Nabari fait partie de ces shônen qui ont compris que leur lectorat était composé d'hommes ET de femmes (voir aussi Kuroshitsuji et Pandora Hearts dans le genre...) C'est malheureusement pour ça que les fangirls sur cette série sont particulièrement déchaînées et tiennent absolument à désacraliser cette relation... Et après, on se pose la question de pourquoi les fans ont tendance à me taper sur le système D:

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Nabari n'est pas une série qui va s'embarrasser de manichéisme : les différents camps et personnages ont un traitement égal. Le découpage au début très net gentils/méchants devient vite flou, les personnages ne faisant finalement tous que se battre pour leurs propres souhaits égoïstes plus que pour un pseudo idéal sensé les rallier. La position prise par Miharu joue aussi bien sûr dans l'ambiguité, celui-ci jouant en quelques sorte le rôle de taupe auprès de ses amis.

Tous des pourris ? Pas loin, en fait. Ils n'hésitent pas à tuer de sang froid et à faire ce pour quoi ils sont payés. L'auteur fait tout pour nous convaincre que dans le monde de Nabari, c'est la loi du plus fort qui prévaut et elle y parvient plutôt bien. C'est d'autant plus agréable que le casting plein de gosses est assez effrayant au début ! Si le scénario du manga pullule de clichés, les personnages savent eux être surprenants, même si leur traitement est inégal.

On appréciera ainsi Kôichi, qui loin d'être le binoclard boulet et timide de service parvient à se montrer inquiétant et mystérieux, Yukimi, le pistolero râleur et violent, et dans une moindre mesure Raimei, la gamine hyperactive. Les autres personnages principaux s'en sortent relativement moins bien.
Thobari, seul adulte du groupe de Banten, est paradoxalement la plus grosse poule-mouillée de la série doublé d'un boulet pacifiste qui vous donnera envie de le tarter plus d'une fois. Amusant, car les autres personnages et l'auteur partagent cette opinion à son sujet, on peut donc dire quelque part que Thobari est réussi dans le sens où il est volontairement une horreur. Hum.
La plus grosse énigme reste pour moi Raikô, le frère de Raimei, tantôt présenté comme un gentil excentrique puis comme un gros psychopathe. Et ça alterne tout le temps. Si j'apprécie le personnage pour son design, il m'a vraiment semblé hors de propos et bien peu maîtrisé par l'auteur... Là aussi, tout ce qui tourne autour de lui semble hurler "fanservice !!!" et c'est bien triste.

C'est encore sur les figures les plus simples que l'auteur s'en sort le mieux, réussissant à humaniser et à rendre crédible monsieur et madame tout le monde, comme Hana, la femme de Thobari, personnage très secondaire mais étrangement attachant. Là aussi, le chara design joue beaucoup.
J'aime franchement ce qu'elle fait à ce niveau là. Il y a des auteurs qui estiment qu'un bon chara design inclue des tonnes de petits détails à la con, mais en restant au contraire très simple, l'auteur de Nabari parvient à rendre ses personnages visuellement attirant. Le meilleur exemple est certainement Yoite, identifiable à 50 km avec son manteau noir et sa casquette. Sobre mais efficace.

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Effroi


Quelque chose qu'il est important de garder à l'esprit, c'est que Nabari n'est pas un manga qui joue vraiment sur le créneau "action". Il y a bien quelques altercations et échanges de coups, mais on ne pourrait même pas parler de combats tellement ils sont pour la plupart très courts et réellement accessoires. Pour faire simple, je dirai qu'on est loin de "l'action pour l'action" telle qu'on la voit dans d'autres mangas.
Nabari joue même la carte complètement inverse en proposant un rythme très lent qui va se trouver de temps en temps bousculé par de la baston. Plus on progresse dans l'histoire et moins l'action est présente.
La douceur générale qui se dégage de l'oeuvre et l'impression de ne pas vraiment avancer dans l'intrigue risque d'en endormir plus d'un mais si les tomes ne regorgent pas de mouvement, ils restent forts en émotions et c'est à mon avis vraiment là que l'auteur voulait en venir.

Je lis souvent à propos de ce manga "je ne le lis pas pour le scénario mais pour les personnages" et je m'inclue dans cette affirmation. Le scénario est plus un prétexte à l'auteur pour mettre ses personnages en condition qu'autre chose. Le manque d'implication des personnages pour la cause qu'ils sont sensés défendre va aussi bien dans ce sens : tous s'utilisent les uns les autres pour leurs propres besoins et paradoxalement seul Hattori, présenté comme le "méchant" de la série, agit par altruisme et pas que pour sa pomme.

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Attaque


L'humour, bien que présent au début, disparaît de plus en plus pour ne plus laisser place au bout de quelques volumes qu'à une terrible mélancolie.

En effet, souvenez-vous qu'un des héros est d'entrée de jeu présenté comme en état de mort imminente. Plus Miharu s'attache à lui et s'humanise à son contact, plus Yoite pourri -au sens propre du terme- et plus la terrible promesse les unissant lui semble impossible à réaliser.
L'épée de Damoclès qui pèse au-dessus de la tête de Yoite devient rapidement menaçante et la tristesse envahit progressivement les pages.
C'est pour ça qu'il est à mon avis important de ne pas enchaîner les tomes à tout allure, mais au contraire de les lire lentement pour ne pas faire une overdose de personnages emo et se laisser doucement entraîner par leur sort. Si vous détestez les mélodrames, autant vous dire que vous pouvez partir en courant tout de suite. Nabari est un manga profondément emo, avec toutes les 3 pages des personnages qui se demandent à quoi bon ça sert de vivre, se posent des questions super existentielles, etc

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Riposte


Il m'est impossible à ce stade-là de ne pas aborder le travail très soigné de l'auteur sur ses planches.
Elle a tendance à privilégier le visuel aux dialogues, aussi il n'est pas rare de croiser dans ce manga des planches entièrement muettes ou seules les expressions des personnages et la mise en page font ressortir toutes les émotions désirées.
Au cas où la lecture n'était déjà pas assez terriblement déprimante, ces planches finissent généralement par bien achever. Non pas parce qu'elles jouent dans le registre "sortez les violons", mais au contraire avec une certaine poésie en même temps très cruelle. Le thème principal de Nabari est en effet la mort et tout ce qui s'y rapproche de près ou de loin : certains personnages la craignent, d'autres la désirent sans pouvoir l'atteindre et viennent s'y ajouter le deuil, la mémoire et l'oubli de ceux qu'on a aimés et qui ne sont plus.

C'est le point que j'apprécie le plus sur cette oeuvre : je ressens pleins de trucs à lecture. Non pas des sentiments "bruts" comme on en a en regardant un film horrible par exemple, mais des sensations plus subtiles telles que la mélancolie ou la nostalgie. Parfois même une espèce d'impression de vide terrible, renforcée par les scène muettes.
Une image valant mieux que de longs discours (comme je viens justement de vous le dire), je vous invite à regarder la planche qui suit, sa structuration, son jeu des contrastes et des formes avec son décor, en ombres-chinoises... C'est certainement une de mes préférées de tout le manga, car même si elle est loin d'être la plus "belle" ou la plus détaillée, c'est techniquement une des plus abouties dans sa construction.

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Mélancolie

Comme dans toutes les oeuvres, le trait de l'auteur évolue beaucoup au fil des volumes. Les premiers tomes sont hésitants, les derniers sont sublimes. Les personnages type "fils de fer" tendance androgyne en dérangeront certainement beaucoup, mais la finesse du trait dessert admirablement le propos et la mise en page "aérienne" du manga.

Malheureusement, tout n'étant pas parfait, l'auteur a parfois tendance à sombrer dans le côté obscur de la force et à y aller moins subtilement. Le charme se rompt alors et on à la mauvaise impression de pouvoir entendre les violons jouer... C'est ce qui se produit grosso-modo au milieu de la série qui, après un arc particulièrement riche en action et émotions fortes, se conforte dans des scènes too much et dans la facilité. Pour résumer l'idée, un chien qui agonise, vous avez d'abord pitié de lui et puis au bout d'un moment, vous avez juste envie de l'achever une bonne fois pour toute. C'est un peu pareil ici, à force de trop tirer sur la corde, on fini par en avoir un peu rien à faire...
L'auteur rattrape le coup avec les derniers volumes, qui explosent littéralement tous les compteurs niveau émotion, douceur et délicatesse.

Nabari n'est peut être pas le manga le plus palpitant qui soit, mais on reconnaîtra à l'auteur sa rigueur dans la façon dont elle conduit son scénario avec maîtrise et subtilité. Et relisant les premiers volumes, on s'apercevra ainsi que les révélations qui tombent à la fin étaient bien planifiées depuis le début, ce qui est toujours plaisant.

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Rupture


Si en raison de quelques gros défauts il m'est impossible de vous présenter Nabari comme un must read absolu, c'est un manga qui à mon sens a sa place dans une bibliothèque. Il laissera de glace ceux que le drama n'intéresse pas, mais son ambiance particulière le rend assez unique et ravira les romantiques adeptes d'histoires tragiques.

Il s'agit de la première série longue de son auteur, on pourrait donc considérer Nabari comme son coup d'essai. Le résultat me semble assez concluant pour lui accorder une chance de mûrir et de nous offrir un manga dont le contexte répondrait peut être mieux à ce qu'elle a à offrir en terme d'émotions et de développement des personnages, car elle a en main tous les atouts pour créer un pur chef d'oeuvre dans le genre dramatique.
Son Shônen Note, débuté il y a peu, nous compte l'histoire d'un jeune soprano en pleine puberté et qui voit sa voix d'ange disparaître peu à peu. Un thème peu commun qui pourrait bien sublimer tout ce qu'elle sait faire de mieux.

En attendant, on retrouvera le 14ème et ultime volume de Nabari dans nos librairies en juillet prochain, pour un final qui promet de rendre l'industrie du mouchoir richissime.

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Rien que la couverture me tue D:

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